Que ceux qui ne croient pas à la malveillance et à la malchance aillent raconter leurs fadaises ailleurs, car moi, je vais vous dire les mésaventures d'un homme qui n'a jamais rien fait au ciel pour mériter pareil outrage.
Oui, cet homme, par son honnesteté, par son coeur aussi simple que son esprit, va vous prouver à tous que les mauvais génies existent, et qu'ils s'acharnent souvent sur les plus malheureux...
Tout commença lorsque notre compagnon (dont nous n'exprimerons point le nom, afin qu'il ne devienne l'objet de railleries malvenues et inutiles) se rendit à la taverne du "Rubis d'Or" (nom charmant bienqu'étrange pour une pierre précieuse ; ) ). Il espérait pouvoir y déjeuner, et il s'installa donc, sans un bruit, à une table vide (comme l'étaient toutes les autres, ce dont il se rendit compte trop tard) avant d'appeler le tavernier.
Ce fut alors qu'il laissa glisser par inadvertance son mouchoir au sol. Et pendant que, je ne sais trop par quelles acrobaties, il tentait de le récupérer, la porte se referma violemment, le verrou se verrouilla.
Il eût beau tambouriner à la porte, se jeter à corps perdu sur ses gons, s'égosier à se rompre les cordes vocales: rien n'y fit. Il était prisonnier du ventre de la taverne. Et quel ventre se dit-il! Il décida donc de rassasier à moindre frais sa faim... et sa soif grandissante!
Mais il fut bien vite face à une nouvelle déconfiture: point de nourriture, point de boisson, juste un vulgaire flacon de piquette infâme.
Victime de cette déconvenue, il redoubla ses hurlements, et appela à son secours Nevers toute entière, ses amis, le Seigneur, sa Toute-Puissance et sa Miséricorde. Ses cris ne dépassaient pas cette maudite porte.
Peut-estre les passants entendaient-ils un murmure, une voix légère mais assez effrayante pour qu'ils détournassent leurs yeux vides? Ou alors étaient-ils trop occupés à poursuivre leurs affreux gorets qui refusaient de se tenir tranquilles auprès de leurs parents, et n'avaient ainsi pas de temps à perdre pour sauver un malheureux?
Notre pauvre ami voyait ses efforts inutiles, et la bouteille se vider. Allait-il périr de la soif, là où jadis la boisson coulait à flot?
Heureusement, des personnes finirent par s'inquiéter de son absence prolongée et se mirent à sa recherche.
Il demeura prisonnier de cette taverne durant ce qui lui sembla estre une éternité, quelques jours pour les témoins.
Il parvint à graver sur une planchette de bois les mots signifiant son désespoir, et il la glissa après nombre efforts sous la porte détestable. Planchette piétinée, ignorée, et encore piétinée... jusqu'à la venue d'une âme salvatrice qui se reconnaîtra!
Après une longue attente, enfin la promesse se réalisa. Notre ami était libre, ses yeux humides de larmes revoyaient la lumière du jour, qui l'aveugla un instant. Il respira l'air qui se parait d'une senteur bien particulière et savoureuse, celle de la liberté.
A peine libre, il remerciait déjà avec tendresse ses sauveurs, ses bienfaiteurs, et déposait un cierge à l'église!
Persuadé que le Sort lui avait joué là un sale tour, que le Destin lui avait fait enduré une épreuve bien étrange et injuste, il garda quelques sequelles et phobies, mais continua à croire en Dieu. Il prie désormais pour ne plus jamais avoir à revivre une telle souffrance.